« Dessin qui raconte l’histoire de mon départ à la retraite de l’ « Éducation nationale ».

 Inspiré d’un gisant de la cathédrale de Burgos en Espagne ; allongé, la tête reposant sur les livres de la connaissance, la mouche symbolise l’horloge biologique et le temps qui passe ; Balthazar me redonnant l’étincelle de la vie.


C’est l’histoire de toute une vie consacrée à l’enseignement des Arts, qui semble tout d’un coup s’arrêter net, comme une chute. »

Jean Pierre Rémaut

REFLEXION AUTOUR DE MES DESSINS

Il y a de moins en moins de métiers, d’exercices, qui exigent la part entière de l’homme, le sacrifice TOTAL de tout le reste – pourquoi parler de sacrifice ? – le pari intégral.

L’acte de peindre, de dessiner, de colorer en est un.

La personne qui peint ne s’ennuie pas. Car tout est à peindre, à dessiner, à croquer, à sculpter. L’attention du peintre est perpétuellement sollicitée, secourue. C’est Georges Braque, justement, qui dit cela : « Il y a une pierre au bord de la route. Si je la ramasse et que je m’en sers pour caler la roue de ma voiture, elle devient, du fait de cette nouvelle fonction, quelque chose de différent, elle acquiert une autre nature ; elle devient cela ; nature qu’elle perd dès que, n’ayant plus besoin d’elle, je la remets à l’endroit où je l’ai prise. C’est ainsi qu’il faut comprendre les éléments, les objets, les animaux qui entrent dans la composition de mon dessin. » Quel bel emploi du mot : nature.

Oui, c’est comme si vous deviez savoir ce que j’ai voulu voir ; vous l’approprier. J’ai toujours eu l’impression que mon dessin me regarde, vous regarde bien plus que vous ne le regardez. Que c’est moi, vous, qui font office de perspective. Que lui est TOTAL, INALTÉRABLE, et qu’il m’observe, vous observe de travers ; dans ma fragilité, dans votre fragilité. 

Il est donc vivant ! Rien de plus étrange pour moi que de nommer nature morte ce qui justement rétablit une euphorique circulation dans mes veines…

Ouf, comme dit ma voisine, le dessin ça me défatigue !

Mon dessin, c’est une pensée sous scellés. C’est cette mine de riens que le moindre regard anime, inquiète, fait rougir, ou gêne. Il devient provoquant, tranquillement agressif, follement solitaire, irréductible ; et la nuit, parfois, je l’entends craquer comme si ses éléments se désankylosaient, changeaient de position dans l’espace qui lui est réservé. Mais dès que je reprends ma place de spectateur, c’est motus, bouche cousue, je me serre les coudes, je dis rien, il me regarde, il me scrute, me déshabille, et je suis loin du compte – du conte ? Il m’ôte la parole mais il m’enchante. « Vous ne voulez quand même pas que je vous fasse un dessin ? ».

Si j’exprime ces quelques lignes pour deux dessins, c’est qu’il n’y a que du dessin. Comme il n’y a que de la musique dans une sonate de Pierre Boulez. Le dessin et la musique sont ainsi devenues pauvres ; comme les hommes devraient l’être.

C’est mon passage dans la chambre noire, un développement de ma quête, une opération à cœur ouvert au rythme diastole systole, un travail de bascule, de retournement, sans doute est-ce là le point délicat, inquiétant, et quelle angoisse de sentir ces deux dessins vous échapper, vous remercier en quelque sorte.

 

Je ne suis pas un homme tranquille ; je sais très bien qu’il n’y a aucune équivalence concevable entre le résultat désormais brut de mon travail difficile, là, sur le mur, et vous qui venez vous faire passer en revue par mon œuvre au garde-à-vous, sans doute mortifiée d’avoir été mise au mur du jour après avoir été royalement, mais clandestinement, exposée à celui de la nuit.

MERCI.

Jean-Pierre Rémaut

Professeur certifié hors classe d’arts plastiques, arts appliqués et histoire de l’art de l’Education nationale.

 

D’après Georges Perros.